samedi 17 mai 2014

Procès R. Alexis à Paris - 7ème jour : la piste du tireur solitaire ?



Un procédé grossier



Après que j’ai été entendu, le président de Jorna fait revenir à la barre Peter O’Brien, qui s'est constitué partie civile dans cette affaire. Ce dernier se trouvait au côté de son ami, Jacques Bino, le soir du meurtre, sur le siège passager de la Fiat Punto du syndicaliste. Quand on sait que la brenneke est rentrée par le côté passager et l’a frôlé d’à peine quelques centimètres, si ce n'est quelques millimètres, on peut dire que ce jeune pompier est un véritable miraculé. Il ne doit sans doute son salut qu’à sa silhouette fine et élancée, à l’opposé de celle de Jacques Bino, bien plus corpulente. 


 Peter O'Brien - © Léia Santa Croce
Le président demande à O’Brien, qui a déjà été entendu dans les premiers jours du procès, s’il a écouté le témoignage que vient de livrer « monsieur Gircour qui n’est pas journaliste - il nous a bien précisé que sa profession était enseignant - et qui n’a rien vu puisqu’il n’était pas là. Que pensez-vous de la théorie qu’il a avancée, puisque vous, vous étiez sur place. » Il trouvera le moyen dans son interrogatoire de répéter encore une fois que je n’ai rien vu de la scène du crime. Lors de l’interruption de séance qui allait suivre quelques dizaines de minutes plus tard, comme mi-agacé, mi- amusé, je demandais avec une certaine ironie, dans la salle des pas-perdus, à un d’un des avocats de la défense, si la commandante Bonamy avait-elle aussi eu droit à ce genre de remarque quand elle a présenté le fruit de son enquête, puisqu'elle non plus n'a rien vu ce soir-là, celui-ci posait une main sur mon épaule avec un sourire : « ne t’inquiète pas pour ça, s’il fait ça, c’est parce qu’il sent que ton témoignage a fait mouche, qu’il a ébranlé les jurés. Ils essayent de reprendre la main. C’est plutôt bon signe.  O’Brien n’était pas du tout censé être réinterrogé à ce moment-là. »





« Cagoulés, en tenue kaki de combat »



A la question de savoir ce qu’il pense de ce que j’avance, Peter O’Brien commencera par dire qu’il n’y croit pas une seconde car ils n’avaient absolument pas prévu de passer par la cité Henri IV, ce soir-là. C’est parce que d’autres voies étaient bloquées par des barrages qu’ils se sont résolus à passer par là mais ils auraient tout aussi bien pu prendre un autre chemin. Il faudra la vigilance de maître Edmond-Mariette pour rappeler à juste titre, dès qu’il en aura l’occasion, que je n’ai jamais défendu la thèse selon laquelle ce serait Jacques Bino qui aurait été visé personnellement ce soir-là. Le président de Jorna insiste encore sur mon témoignage, demande à O’Brien s’il a vu les faits auquel je fais allusion, l’intervention d’un commando. Il ne s’attendait sûrement pas à la réponse que le témoin de la partie civile lui lance à la barre : celui-ci explique qu’après le meurtre, une bande de cinq ou six gars armés, « cagoulés, en tenue kaki de combat » s’est approchée de lui. « L’un d’eux m’a dit en créole " si je voulais te flinguer, je l’aurais déjà fait ". Il a tiré une fois en l’air et ils sont partis. » Flottement dans la salle. Il explique ensuite que plusieurs groupes de jeunes sont venus se rendre compte par eux-mêmes de la situation. Quelqu’un a même dit : « ah, alors ils se sont trompés. »

Faisant mine de reprendre les propos d’O’Brien quelques minutes plus tard, le président reformule :

« Ils se sont approchés de vous, et en constatant que vous n’étiez pas de la police, l’un d’entre eux a dit " ah, nous nous sommes trompés ", c’est bien ça » ?

 Oui, monsieur le président », répond un Peter O’Brien peu contrariant.

Pourtant, le passage de la troisième personne du pluriel, « ils » à la 1ère du pluriel, « nous » est tout sauf anodin : d’une constatation d’une personne tierce sur les intentions supposées du meurtrier, on passe allégrement à un aveu : « Nous nous sommes trompés ». Les jurés seront-ils dupes de ce glissement ? En tout cas, que ce soit « ils » ou « nous », ce pronom met à mal la thèse du tireur solitaire à laquelle se raccroche l’accusation.





Le récit d’O’Brien



O’Brien revient sur les faits ce soir-là. « Après le meeting, quelqu’un nous a dit de ne pas rester là, que la GUP était déjà en feu, et que des jeunes descendaient sur Pointe-à-Pitre pour mettre le feu. Jacques a dit que ça devenait chaud et on est parti. » C’est O’Brien qui a vu le barrage le premier, au bout de l’avenue Gagarine dans la cité Henri IV et qui a dit à son ami de faire demi-tour. Il a entendu ensuite la première détonation, celle qui sera fatale à son ami. Il livre ce témoignage qui fait froid dans le dos : « Je ne me suis pas rendu compte que Jacques avait été touché. C’est en regardant vers la gauche que j’ai vu le sang qui avait giclé sur le pare-brise. » Il explique que deux autres coups de feu ont retenti alors que lui-même s’extrayait de la voiture par la vitre côté passager car en venant percuter les véhicules garés devant, la Fiat punto s’était arrêtée contre une autre voiture qui empêchait la portière de s’ouvrir… Il a alors perdu l’équilibre, est tombé. Il a ensuite fait le tour de la voiture pour porter secours à son ami, en se relevant le moins possible. Malheureusement, il devait aussitôt se rendre compte qu’il n’y avait plus rien à faire…





Trois longues heures sans secours



Il est resté là trois heures à attendre les secours. Il ne comprend pas quand les pompiers lui répondent au téléphone que non, ils ne peuvent se rendre sur place parce qu’ils risquent de se faire caillasser. « Je suis moi-même pompier. Je les ai insultés, monsieur le président ! Après je me suis excusé auprès des collègues, ils m’ont dit qu’ils me comprenaient. Pendant cette longue attente, on entendait des détonations, les jeunes refluaient sur la cité et repartaient. »

Cette dernière déclaration vient là encore conforter mes propos. Le président se garde bien de s’y arrêter. O’Brien déplore enfin que parmi tous les jeunes "venus voir", pas un ne lui a demandé comment ça allait, pas un ne lui a proposé de l’aide, pas un n’a même proposé d’alerter les secours. Seuls quelques voisins qui sont descendus plus tard et ont reconnu Jacques Bino lui proposeront de les suivre dans leur appartement.

« J’étais venu avec Jacques, il était hors de question que je l’abandonne. » dira-t-il avec une détermination touchante.





Un groupe de quatre

                                                                                                                  

Certes Peter O’Brien s’est dit satisfait du fait que le procès ait été dépaysé et a demandé aux jurés de condamner Ruddy Alexis : « même si le tireur s’est trompé de cible, il doit quand même payer ! Je vous demande de me permettre de vivre à nouveau, je vous demande que la punition s'ensuive », dira-t-il notamment ; néanmoins, contre toute attente, sa nouvelle audition, loin de démolir ce que j’affirme depuis des années, l’a plutôt étayé. A cela sont venu s’ajouter les propos de madame Dursus, cette enseignante résidant Cité Henri IV, qui a tout vu depuis son balcon, idéalement situé au-dessus du tireur, ayant eu également la voiture de Jacques Bino dans son champ de vision au moment du drame. Elle a témoigné par visioconférence entre mon témoignage et mon interrogatoire. Le président m’a demandé si ça ne me gênait pas de procéder de la sorte, car mon propre témoignage avait pris pas mal de temps. La dame patientait depuis un bon moment, je n’y ai donc bien sûr pas vu la moindre objection et ai alors rejoint la petite salle réservée aux témoins en attente d’être entendus. En tant que témoin direct du meurtre à la probité incontestable, madame Dursus a été unanimement reconnue comme un des témoins capitaux dans cette affaire. Son témoignage contredit lui aussi totalement la piste du tireur solitaire. Elle parle d’un groupe de quatre personnes arrivé bien plus tôt sur le barrage parmi lesquels celui qui va tuer Bino. En soi cela contredit les témoignages à charge qui affirment que le tireur, identifié selon eux comme Ruddy Alexis, aurait agi seul et ne serait resté que quelques secondes sur le barrage avant d’ouvrir le feu, arrivant juste du boulevard Légitimus d’où il aurait déjà tiré. Mais elle va plus loin : le tireur était de grande taille, ce qui n’est pas le cas de Ruddy, c’était le plus grand des quatre ! Comme au procès à Basse-Terre où elle avait pu le voir debout, elle est catégorique, ça ne peut pas être Ruddy Alexis.



FRédéric Gircour (chien.creole@gmail.com)

dimanche 11 mai 2014

L'article de Wikipedia sur Philippe Courroye, personnage sulfureux

Philippe Courroye

Philippe Courroye (né le à Lyon) est un magistrat français, avocat général à la cour d'appel de Paris.

 Nicolas Sarkozy et Philippe Courroye © Charles Platiau

Biographie

Après des études de droit et à l'Institut d'études politiques de Paris, il intègre l'École nationale de la magistrature. Il sort en 1985 quatrième de sa promotion (sur 232). En décembre 1986 il est nommé juge d'instruction au TGI de Lyon. Entre 1992 et 1994, il instruit notamment les affaires concernant les hommes politiques Michel Noir et Alain Carignon. En octobre 1996, il est promu substitut du procureur général siégeant à la cour d'appel de Lyon. Le 20 juillet 1999, il rejoint le pôle financier du TGI de Paris comme premier juge d'instruction. À ce titre, il instruit de nombreuses affaires dont celles de Pierre Falcone, Charles Pieri ou du Crédit lyonnais.

Il est le magistrat instructeur de l'affaire du trafic d'armes vers l'Angola (Angolagate)1, du financement illégal du RPR (Rassemblement pour la République), du volet français de l'affaire Pétrole contre nourriture, du dossier Pierre Bédier. Il rend un non-lieu dans le dossier visant les « frais de bouche » des époux Chirac à Paris, pour cause de prescription2.

Par décret du , il est nommé avocat général près la cour d'appel de Versailles pour exercer les fonctions de procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nanterre. Fin 2007, il classe « sans suite » l’enquête préliminaire de police sur les conditions d’achat par le président de la République, Nicolas Sarkozy, d’un luxueux duplex à Neuilly3.

Le , il est fait officier de l'Ordre national du mérite par Nicolas Sarkozy4,5.

Le , il ouvre une enquête préliminaire dans l'affaire Woerth-Bettencourt, bien que son nom soit cité à plusieurs reprises dans les enregistrements réalisés par un ancien employé de maison de Liliane Bettencourt. Il ouvre plusieurs autres enquêtes préliminaires dans cette affaire tentaculaire : jusqu'à six enquêtes seront directement conduites par lui dans cette affaire. Pour autant, il refuse longtemps d'ouvrir une information judiciaire, malgré les demandes de plusieurs membres de l'opposition et de magistrats. Philippe Courroye répond : « Les critiques m'indiffèrent et j'y suis habitué. Je n'ai pas à me justifier ni à me défendre6 ». Finalement, le tribunal de Nanterre est dessaisi de tous les volets de l'affaire Bettencourt au profit du tribunal de Bordeaux.

Contesté pour sa gestion de l'affaire Bettencourt, mis en cause par des journalistes du Monde pour avoir tenté de découvrir leurs sources et en conflit ouvert avec des magistrats du tribunal de grande instance (TGI) de Nanterre, il est muté « dans l'intérêt du service » le 3 août 2012, avocat général à la cour d'appel de Paris, après l'avis favorable donné par le Conseil supérieur de la magistrature7. Une décision qu'il perçoit comme une sanction politique et dont il annonce par avance qu'il la contestera devant le conseil d'État7. Cependant son recours est rejeté, d'abord en référé le 12 septembre 20128, puis "sur le fond", le 12 juin 20139.

Il dispense le cours de « Droit Pénal Économique » à Sciences-Po Paris.

Polémiques

Sa situation de premier plan, son passage du siège au parquet directement comme Procureur de Nanterre, malgré l'avis défavorable du Conseil supérieur de la magistrature et le type d'affaires qu'il a eu à traiter l'ont exposé à plusieurs polémiques. Le nombre de polémiques dont il est l'objet depuis sa nomination au parquet de Nanterre, tient peut-être au fait que depuis ce moment, il est en conflit quasi-ouvert avec d'autres magistrats. En 2010, Marianne écrivait, « Courroye est l'incarnation de la porosité entre le parquet et le pouvoir10. » La même année, Libération écrit qu'il est « très compréhensif avec le pouvoir11. »

Plainte de Charles Pasqua

Charles Pasqua annonce le qu'il dépose une plainte contre le juge Courroye pour le procès de l'Angolagate, du fait que l'instruction a été menée à charge, l'accusant d'avoir été partial en ayant caché des documents et notamment une note de la DST qui lui était favorable. Il porte plainte contre Philippe Courroye pour «destruction, soustraction et détournement de preuves»12. Après que Charles Pasqua ait été relaxé en appel en 2011, Philippe Courroye est entendu par le juge d'instruction chargé de l'affaire. Le 25 juillet 2012, il ressort du cabinet du juge avec le statut de témoin assisté, un statut intermédiaire entre celui de simple témoin et de mis en examen, qui lui donne accès à la procédure13.

Polémique sur sa nomination

La nomination d'avocat général à la cour d’appel de Versailles pour exercer les fonctions de procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nanterre suscite des réactions hostiles du Syndicat de la magistrature qui dénonce « un verrouillage par la droite des postes stratégiques »14.

Liens étroits avec Nicolas Sarkozy

Le , Philippe Courroye est promu officier de l'ordre national du Mérite par Nicolas Sarkozy qui le présente comme son « ami ». À cette occasion, Nicolas Sarkozy déclare : « On nous reproche de nous connaître, mais cela ne l'a pas empêché de faire son métier, ni moi le mien4. »

Rivalités au Tribunal de Nanterre

Affaire Françoise Bettencourt vs François-Marie Banier

Article détaillé : Affaire Banier-Bettencourt.
Selon le journal Le Point, « Philippe Courroye, qui n'a jamais caché sa proximité avec le président Nicolas Sarkozy, est un magistrat contesté dans la profession15 » et s'oppose régulièrement, depuis plusieurs mois, à Isabelle Prévost-Desprez, présidente de la XVe chambre, « sur de nombreux dossiers au sein de leur juridiction15 », et notamment sur la procédure judiciaire opposant Françoise Bettencourt-Meyers à François-Marie Banier.

Dans le cadre de l'enquête préliminaire menée sous l'autorité de Philippe Courroye, des investigations sont menées par la Brigade financière. En 2008, celle-ci considère disposer d’éléments sérieux justifiant d’éventuelles poursuites, à partir d'un faisceau d'éléments qui « tendent à confirmer l’existence » du délit d’abus de faiblesse16[réf. insuffisante]. Pourtant, au motif que Liliane Bettencourt avait refusé de se soumettre aux expertises médicales, Philippe Courroye classe sans suite (le ) la plainte de Françoise Bettencourt-Meyers à l'encontre de M. Banier. Une décision qui avait été annoncée plusieurs semaine à l'avance à Liliane Bettencourt via le conseiller justice de Nicolas Sarkozy, comme le montrent des enregistrements pirates effectués par l'ancien majordome de Liliane Bettencourt.

Affrontement entre le Procureur et la Présidente de la XVe chambre

Le , Le Monde qualifie de « guerre d'ego17 » l'opposition entre Philippe Courroye et Mme Prévost-Desprez. On peut y percevoir aussi une opposition de fond, Mme Prévost-Desprez semblant « se poser un peu plus en défenseur des juges d'instruction17 », alors que Nicolas Sarkozy a annoncé la suppression de la fonction de juge d'instruction en 18, tandis que M. Courroye aime « à prouver son indépendance de pensée17 ».

L'affaire Bettencourt, dans laquelle Mme Prévost-Desprez a pris à plusieurs reprises des décisions contraires aux réquisitions du parquet, n'est qu'un épisode de plus dans cette bataille19. »
« Le , Philippe Courroye, qui n'a jamais caché sa proximité avec le président Nicolas Sarkozy, adresse une lettre à la présidente du Tribunal de grande instance (France) (TGI) de Nanterre19. » Celle-ci est considérée comme une lettre de remontrance contre Mme Prévost-Desprez, ce qui « provoque un tollé dans la profession19 », alors que « les syndicats crient au « scandale19 ».

« Isabelle Prévost-Desprez est entendue par sa hiérarchie, qui s'empresse de classer l'affaire, sans prononcer aucune sanction. Histoire de marquer le coup, en janvier, plusieurs dizaines de juges et avocats boycottent le discours de Philippe Courroye à l'audience solennelle de rentrée19 ». « Lorsque le procureur a pris la parole, les magistrats et avocats, en robe, ont quitté la salle les uns derrière les autres, silencieux. Ils ne sont revenus qu'une fois terminé son discours, près d'une heure plus tard. Une motion de protestation a été lue à l'extérieur, qui dénonce l'initiative de M. Courroye20. »
Cette opposition entre le juge Philippe Courroye — lui-même mis en cause dans les écoutes — et Isabelle Prévost-Desprez, présidente de la 15e chambre au TGI de Nanterre est même le principal argument que Martine Aubry, première secrétaire du PS, a mis en avant pour demander que la garde des Sceaux, Michèle Alliot-Marie, saisisse le Conseil supérieur de la magistrature pour que l'affaire Bettencourt soit « dépaysée dans un autre tribunal » que celui de Nanterre15. Ce dépaysement interviendra le , sur décision de la Cour de cassation qui confie l'ensemble des dossiers des affaires Bettencourt au tribunal de Bordeaux21.

Affaire Woerth-Bettencourt

Article détaillé : Affaire Woerth-Bettencourt.
Le nom de Philippe Courroye est mentionné à plusieurs reprises dans des enregistrements réalisés clandestinement en 2009 et 2010 par le majordome de Liliane Bettencourt, premier actionnaire du groupe L'Oréal et l'une des trois premières fortunes de France22, au domicile de cette dernière, situé à Neuilly23,24.

Après la publication d'extraits de ces enregistrements par Mediapart le 16 juin 2010, il réagit très vite et ouvre une enquête préliminaire pour atteinte à la vie privée. Le 17 juin, alors même que les plaintes de Liliane Bettencourt et de François-Marie Banier ne sont pas encore déposées25, il fait placer en garde à vue l'ancien majordome de Mme Bettencourt, son ancienne secrétaire Claire Thibout, ainsi que son mari. La durée de ces gardes à vue est ensuite portée à 48 heures. Au sortir de celles-ci, Me Antoine Gillot l'avocat du majordome déclare : « Il serait peut-être bien maintenant que l’on s’intéresse davantage au fond, c’est-à-dire à ce que révèlent ces enregistrements sur la santé de Mme Bettencourt et comment son entourage se comporte avec elle26 ».

Après une déclaration d'Éric Woerth le 25 juin 201027, il réagit le jour même par un communiqué. Il y affirme avoir alerté l'administration fiscale en janvier 2009 sur de possibles fraudes dans cette affaire, sans préciser toutefois si cette signalisation visait le seul François-Marie Banier28 ou concernait aussi Liliane Bettencourt. Plusieurs élus du Parti socialiste, ainsi qu'Eva Joly d'Europe Écologie, s'interrogent alors sur un éventuel conflit d'intérêt le concernant, dans ce qui est déjà l'Affaire Woerth-Bettencourt, alors que la seule procédure qui est ouverte vise à réprimer l'éventuelle atteinte à la vie privée constituée par ces enregistrements. Ces élus demandent à la fois l'ouverture d'une information judiciaire et le dépaysement du traitement de l'affaire, le Parquet de Nanterre ne présentant plus pour eux les garanties d'indépendance et de neutralité nécessaires.

Les enregistrements révèlent qu'en 2009, Philippe Courroye pourrait avoir communiqué à la Présidence de la République son intention de déclarer irrecevable la plainte de la fille de Mme Bettencourt pour abus de faiblesse29. La presse et l'opposition s'émeuvent surtout du fait que cette communication a été effectuée plusieurs semaines à l'avance en fournissant la date précise (3 septembre 2009) où l'ordonnance d'irrecevabilité serait rendue30,31. Ce que Patrick Ouart, conseiller Justice de Nicolas Sarkozy jusqu'à fin 2009, s'est empressé de faire savoir à Mme Bettencourt, par l'intermédiaire de Patrice de Maistre, chargé de gérer les dividendes et les finances personnelles de Bettencourt32.

Le 6 juillet 2010, Philippe Courroye étend l'enquête préliminaire pour atteinte à la vie privée aux faits évoqués dans les enregistrements. Ce même jour, il fait auditionner Claire Thibout, ancienne comptable de Liliane Bettencourt à deux reprises. Celle-ci fait des révélations qui seront publiées le lendemain dans Mediapart. Alors qu'aucune plainte n'est déposée, Philippe Courroye étend alors l'enquête préliminaire déjà ouverte aux déclarations publiées dans Mediapart. Paradoxalement, cette action vise son principal témoin pour ce qui concerne les faits de financement irrégulier de Parti politique, dont il demande à être aussi saisis dans un rapport qu'il a transmis au Parquet général la veille. Dans ces déclarations, Claire Thibout, met en cause le Parti Républicain et l'UMP ainsi que Nicolas Sarkozy et Éric Woerth. Elle affirme qu'à plusieurs reprises ceux-ci auraient reçu de grosses sommes d'argent en liquide (de 30 000 € à 50 000 €) dont certaines leur auraient été remises dans des enveloppes au domicile de Liliane Bettencourt, situé à Neuilly. Par ailleurs, pour la campagne électorale de Nicolas Sarkozy, 150 000 € auraient été remis à Éric Woerth par Patrice de Maistre au cours d'un diner ayant eu lieu en mars ou avril 200733. Tous ces faits sont démentis par les intéressés.
Finalement, à la demande du procureur général de Versailles Philippe Ingall-Montagnier, Philippe Courroye ouvre une information judiciaire fin octobre 201034 Le procureur Courroye précise avoir mené une enquête « modèle », ses investigations ayant nécessité la mobilisation de soixante-dix enquêteurs, la réalisation de trente-sept perquisitions et transports, la confection de plus de neuf cent cinquante procès-verbaux et trois cent cinquante-trois scellés35. Cette procédure est le préalable au dépaysement de l'affaire dans un autre tribunal.

Le , la Cour de cassation transfère l'ensemble des dossiers au tribunal de Bordeaux21. Les procédures concernées sont l'abus de faiblesse (affaire Banier-Bettencourt), la violation du secret professionnel imputée à Isabelle Prévost-Desprez et l'information judiciaire ouverte par Philippe Courroye36. L'information judiciaire est composée de quatre volets, correspondants aux quatre enquêtes préliminaires menées par le parquet de Nanterre : pour atteinte à la vie privée, au sujet des enregistrements clandestins36 ; escroquerie et abus de confiance, sur les conditions d'acquisition de l'île d'Arros36 ; financement illégal de partis politiques, suite au témoignage de Claire Thibout36 ; fraude fiscale et blanchiment d'argent, qui concerne l'argent non déclaré des comptes suisses de Liliane Bettencourt36.

Affaire des « fadettes » de journalistes du Monde

Deux journalistes du Monde, Gérard Davet et Jacques Follorou, déposent plainte contre Philippe Courroye en janvier 2012. Ils l'accusent d'avoir, en septembre 2010, « explicitement demandé » que des investigations soient menées sur les conversations téléphoniques de ces deux journalistes, alors que ceux-ci enquêtaient alors sur l'affaire Bettencourt37. Ils dénoncent « des atteintes, graves et volontaires bien que manifestement niées, contraires aux devoirs de loyauté, de légalité et de délicatesse qui s'imposent aux magistrats37. » Le 5 mai 2011, la cour d'appel de Bordeaux annule la procédure liée à l'affaire Bettencourt, décision confirmée par la Cour de cassation le 6 décembre suivant : « L'atteinte portée au secret des sources des journalistes n'était pas justifiée par l'existence d'un impératif prépondérant d'intérêt public, et la mesure n'était pas strictement nécessaire et proportionnée au but légitime poursuivi. » Philippe Courroye est mis en examen le 38, mais cette décision est par la suite annulée par la chambre de l'instruction. Le Monde se pourvoit alors en cassation et saisit le Conseil supérieur de la magistrature. Le , la Cour de cassation rejette la demande de maintien de la mise en examen de Philippe Courroye et de son adjointe, Marie-Christine Daubigney39, car lorsque celle-ci est intervenue, le caractère illégal de la procédure engagé par Philippe Courroye n'était pas définitivement établi40. La Cour de cassation a confirmé le caractère illégal de ces poursuites le 6 décembre 2011. Selon Le Monde, sa plainte « reste cependant valide, mais la juge d'instruction va devoir reprendre entièrement son dossier40. » En , le Conseil supérieur de la magistrature considère qu'il n'y a pas lieu de prononcer une sanction disciplinaire à son encontre, tout en reconnaissant la « gravité » de la « violation d'une règle de procédure » que le juge ne pouvait ignorer41,42,43.

Notes et références

  1. « Face à Philippe Courroye, la défense a brûlé ses cartouches » [archive], sur NouvelObs.com,‎ 11 février 2009 (consulté le 14 juillet 2010).
  2. L'affaire des "frais de bouche" du couple Chirac définitivement close [archive], Le Monde du 22 septembre 2005.
  3. « "Pressions" de l’Elysée sur la magistrature » [archive], sur La Libre.be,‎ 7 décembre 2009 (consulté le 21 juillet 2010).
  4. a et b « Philippe Courroye, l'ami du président » [archive], sur lexpress.fr,‎ 12 novembre 2009 (consulté le 14 juillet 2010).
  5. « Les réseaux du procureur » [archive], sur Le Monde.fr,‎ 17 Mai 2009 (consulté le 12 juillet 2010) (payant).
  6. « Bettencourt : perquisitions en série, le procureur s'explique » [archive], sur NouvelObs.com,‎ 13 juillet 2010 (consulté le 21 juillet 2010).
  7. a et b Philippe Courroye officiellement nommé avocat général à Paris [archive], Nouvel observateur du 3 aout 2012
  8. M. Courroye, N° 361699 [archive], CE, 12 septembre 2012,
  9. Nomination de M. Courroye à la cour d'appel de Paris [archive], Conseil d'Etat, communiqué du 12 juin 2013
  10. « Des procureurs à la botte », Marianne, 26 juin 2010, page 28.
  11. « Un procureur très compréhensif avec le pouvoir », Libération, 9 juillet 2010, page 4.
  12. « Philippe Courroye n'est «pas un modèle de magistrat» pour Pasqua » [archive], sur 20minutes,‎ 29 octobre 2010.
  13. Les nuages s'accumulent pour Philippe Courroye [archive], Le Monde du 26 juillet 2012,
  14. « Courroye nommé à Nanterre, malgré le CSM » [archive], sur LCI,‎ 08 mars 2007.
  15. a, b et c « Affaire Bettencourt : Aubry demande à MAM de saisir le CSM pour un dépaysement de l'affaire » [archive], sur Le Point.fr,‎ 6 juillet 2010 (consulté le 6 juillet 2010).
  16. Benoît Collombat, « Enquête : Quand la Brigade financière privilégiait l'abus de faiblesse sur Liliane Bettencourt » [archive], sur le site de France inter, non trouvé le 1er novembre 2013.
  17. a, b et c Gérard Davet, « Affaire Woerth-Bettencourt : Philippe Courroye veut pousser plus loin l'enquête » [archive], sur Le Monde,‎ 6 juillet 2010, p. 9.
  18. Nicolas Sarkozy confirme qu'il veut supprimer le juge d'instruction [archive], sur le site lemonde.fr du 7 janvier 2009
  19. a, b, c, d et e « Derrière l'affaire Bettencourt, des bisbilles entre deux magistrats » [archive], sur Le Point.fr,‎ 1er juillet 2010 (consulté le 12 juillet 2010).
  20. « Nanterre : magistrats et avocats boycottent Courroye lors d'une cérémonie » [archive], sur Le Point.fr,‎ 21 janvier 2010 (consulté le 13 juillet 2010).
  21. a et b « Bettencourt: dépaysement à Bordeaux » [archive], sur lefigaro.fr,‎ 17 novembre 2010 (consulté le 17 novembre 2010)
  22. Marie Herbet, « Bernard Arnault sacré homme le plus riche de France » [archive], sur Le Figaro.fr,‎ 7 juillet 2010 (consulté le 8 juillet 2010).
  23. Fabrice Arfi, Fabrice Lhomme, « Sarkozy, Woerth, fraude fiscale : les secrets volés de l'affaire Bettencourt » [archive], sur Mediapart,‎ 16 juin 2010.
  24. Hervé Gattegno, « Affaire Bettencourt - Les enregistrements secrets du maître d'hôtel » [archive], sur Le Point.fr,‎ 16 juin 2010 (consulté le 11 juillet 2010).
  25. « Enregistrements : Bettencourt et Banier portent plainte » [archive], sur Challenges.fr,‎ 18 juin 2010.
  26. « Affaire Bettencourt : fin des gardes à vue » [archive], sur Le Post.net,‎ 20 juin 2010.
  27. « Affaire Bettencourt : Woerth annonce avoir lancé un contrôle fiscal de Banier en 2009 » [archive], sur Le Point.fr,‎ 25 juin 2010 (consulté le 6 juillet 2010).
  28. « Ouverture du procès Bettencourt/Banier » [archive], sur Challenges.fr,‎ 1er juillet 2010 (consulté le 11 juillet 2010).
  29. Elsa Freyssenet, « Affaire Bettencourt : l'épouse d'Éric Woerth va démissionner, voir « Une procédure en cours depuis fin 2007 » à la fin de l'article » [archive], sur Les Echos.fr,‎ 22 juin 2010 (consulté le 11 juillet 2010).
  30. Eric Nunès, « Affaire Bettencourt : ce que disent les enregistrements » [archive], sur Le Monde.fr,‎ 29 juin 2010 (consulté le 1er juillet 2010), p. 1.
  31. « Affaire Bettencourt : les principales révélations des enregistrements pirates » [archive], sur Libération.fr,‎ 24 juin 2010 (consulté le 11 juillet 2010).
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Annexes

Bibliographie

Liens externes